L’Homme qui ne s’aimait pas

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246pages. in8. Broché. Cent fois, il a pensé s’arrêter, cent fois, il a continué. Cent fois, il a trouvé les autres meilleurs que lui; cent fois, il les a abattus. Toute sa vie il a fait de la politique ccmme on va au boulot, chaque matin, sans se prendre pour le maître du monde. Pourtant, depuis qu’il est à l’Elysée, il songe parfois avec orgueil que son modeste métier est devenu destin. La politique a été pour lui un hasard et une nécessité, un mode de vie pour mettre à distance la vraie vie, un moyen ccmmode de courir pour mieux se fuir, une manière festive de croquer l’existence avec ses grandes dents de loup faites pour manger tous les petits Chaperons rouges; donner un peu de bonheur individuel aussi parfois. Il n’a jamais cru au grand soir, jamais cru que la politique changerait le monde. On lui reproche d’avoir mélangé caisse publique et caisse privée. Mais a-t-il eu une vie privée ? Il veut être protégé, respecté, considéré. Il ignore superbement l’avertissement du général de Gaulle: L’aventure individuelle est une passion enfantine. Il s’en moque.
« L’homme qui ne s’aimait pas » s’appelle Jacques Chirac. Si le titre intrigue, le héros a de quoi passionner. Pour étayer sa théorie – dont on cherche l’évidence tout au long du récit – , Éric Zemmour s’est appuyé sur les liens du président avec son entourage : sa belle-famille, Bernadette, Claude… et notamment sur ses rapports avec son propre père, qui mêlent obéissance craintive et révolte larvée. Rapports qui expliqueraient, selon l’auteur, le comportement politique de ce « rebelle de carte postale » rêvant de s’opposer mais renonçant toujours. C’est ainsi que, de 1956 à 2001, le petit monde de Jacques Chirac est passé en revue : on y croise Charles Pasqua, Chaban-Delmas, Marie-France Garaud et tous ceux qui ont mené, parfois malgré eux, Jacques Chirac au pouvoir. Soit, sur 246 pages, l’histoire politique française des quarante dernières années mélangée à l’histoire personnelle de « Jacky ».
Éric Zemmour, de sa plume vive et alerte, dresse de savoureux portraits. Difficile pourtant de connaître le point de vue du reporter du Figaro sur son personnage principal : admiration ? moquerie ? Si Zemmour reconnaît en Chirac un bûcheur, un déterminé, un terrien, jamais l’homme d’État n’est considéré comme un homme d’idées. Et si, dans ce livre, le monde politique est regardé par une petite lucarne pleine d’humour et d’anecdotes croustillantes, il en ressort surtout que le goût du pouvoir et les guerres de clan ont, chez Chirac, remplacé un idéal de Grand Soir. Même l’évocation de la rencontre entre le futur président et Jean-Marie Le Pen n’étonne plus tant l’univers décrit regorge de coups bas et de stratégies avortées. D’accord, tout cela rapproche l’humain et le politique mais manque d’envergure pour un projet national. On y découvre seulement les coulisses du pouvoir, les revirements, les formules toutes faites et les paradoxes. Car l’homme du « bruit et (de) l’odeur » fut aussi celui de la « fracture sociale », un amoureux de l’Asie, des voyages et des autres cultures. Celui qui était, lors de ses études, « plus à gauche » que Rocard est aujourd’hui le seul à pouvoir faire gagner une droite divisée. Le temps change un homme.
Mais, après les témoignages du chauffeur du président puis de la première dame de France, voici Jacques Chirac lui-même. Ici, aucune analyse politique globale, Zemmour voulait juste une analyse quasi psychanalytique de l’homme. Il y réussit. Car, loin de tout parti pris, il confirme ce que les conseillers en communication de l’Élysée tentent de faire passer dans l’opinion publique : oui, Jacques Chirac est un homme comme les autres. Mais est-ce suffisant pour gagner une élection ? –Marine Segalen